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1. Contexte : quand l’Analyse de Cycle de Vie se focalise sur le produit final

Les systèmes agro-alimentaires en général et les filières laitières en particulier ne sont pas aussi verticaux que la plupart des représentations le laisse entendre. Ils ne sont pas linéaires mais plutôt ramifiés et semblables à des grappes (Saives et al., 2002). L’ACV passe par la modélisation d’objets complexes dans leur organisation et éclatés spatialement. La collecte d’informations concerne a priori une multitude d’acteurs, de l’extraction des ressources indispensables aux fournisseurs de l’agriculture, à la commercialisation des produits finals, en passant par l’étape agricole et la transformation.
Dans leur travail de détermination des impacts potentiels de ces systèmes, les pilotes de l’analyse sont amenés à faire des choix. Ils décident de travailler avec un jeu de critères, sur un périmètre bien défini, et ils choisissent l’unité qui permettra, au terme de l’analyse, l’expression des résultats. Il s’agit de l’unité fonctionnelle, en référence à la fonction du système que l’on souhaite caractériser. Elle doit permettre de comparer les performances environnementales de systèmes qui ont la même fonction principale. Dans le cas des filières laitières, la fonction principale privilégiée peut être la production de fromage, et dans ce cas les impacts potentiels seront exprimés par kilogramme ou par tonne de fromage. L’objectif serait ici de comparer la capacité de plusieurs filières laitières à limiter leurs impacts environnementaux par tonne de fromage vendue.


En principe, la question de l’unité fonctionnelle est ouverte. L’éventail des possibilités donne d’ailleurs lieu à de nombreuses discussions dans le cadre de la mise en place de l’affichage des caractéristiques environnementales des produits. Les avantages et les inconvénients des différentes options sont mesurés pour choisir, par exemple, entre une unité de masse (le kg de produit) et une expression des impacts par type de portion (en volume ou en masse) proposée au consommateur. Ceci confirme un arbitrage implicite en faveur de la reconnaissance d’une association entre agriculture et agro-alimentaire dont la fonction essentielle serait d’extraire des ressources et de produire des denrées, fonction immédiatement reliée aux actes commerciaux. Notons qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’une reconnaissance du rôle nourricier des filières agricoles, puisque le contenu énergétique (pour ne se limiter qu’à cette caractéristique nutritionnelle) n’entre pas en ligne de compte au moment de comparer un kg de telle spécialité fromagère avec un kg de telle autre.


L’alternative qui aurait consisté à reconnaître à l’agriculture un ensemble de fonctions liées à l’utilisation durable de l’espace (c'est-à-dire dans le sens de la durabilité) n’a semble-t-il pas été explorée pour proposer d’autres unités fonctionnelles. En revanche, les impacts environnementaux des systèmes agricoles déterminés par une ACV qui s’arrête à la porte de l’exploitation peuvent être exprimés par unité de surface. Dans ce cas les systèmes agricoles peuvent être également jugés et comparés sur leur capacité à limiter leurs impacts environnementaux par hectare.


Par ailleurs, lorsque l’on s’intéresse aux flux massiques de matières générés par une activité, une attention particulière doit porter sur les produits pondéreux, notamment les produits riches en eau. Et il ne faut pas écarter le cas de figure d’une comparaison de deux systèmes productifs agro-alimentaires dont les niveaux d’impacts seraient équivalents mais pour lesquels le niveau de concentration de la matière utile dans le produit final ne serait pas le même. Si les impacts sont exprimés par kg de produit final, c’est bien la filière des produits les moins secs qui apparaîtra comme la plus avantageuse.
Le fonctionnement classique des systèmes productifs agro-alimentaires repose sur un faisceau de flux entrants divers (les matières premières, les ingrédients, les consommations énergétiques, etc.) et un faisceau de flux sortants a priori aussi diversifié (produits principaux, co-produits, déchets, rejets, etc.).

Par force, face à cette réalité, l’approche "produit" repose sur des choix méthodologiques pointus. Pour caractériser l’une des productions finales d’un tel système, il est en effet nécessaire d’effectuer un tri entre les impacts et d’affecter au produit choisi la part qui lui incombe. Le principe d’une répartition entre produits au prorata des chiffres d’affaires qu’ils génèrent en aval est largement admis et pratiqué. Les co-produits dont la valeur marchande est moindre hériteront d’une partie proportionnée des impacts de l’ensemble du système. Cette répartition par allocation économique est par conséquent liée au marché des produits et des co-produits.


Les systèmes agricoles de polyculture-élevage sont typiquement multi-produits. Les outils d’ACV appliquée pour leur évaluation environnementale fonctionnent ainsi en deux temps : la détermination des impacts environnementaux globaux de l’exploitation (ils peuvent être exprimés par ha, nous l’avons vu, par simple division des consommations et émissions estimées par la surface de l’exploitation), puis la répartition de ces impacts sur les différentes productions exportées.
Si les flux entrants de la filière étudiée sont constitués de matières premières qui sont elles-mêmes souvent des co-produits, leurs caractéristiques environnementales sont donc également le résultat d’une répartition dépendante du marché des matières premières.

Nous retiendrons que l’analyse d’une activité de transformation agro-alimentaire à des fins de caractérisation d’un produit final est encadrée par deux jeux d’allocations. Ceci revient à cumuler des hypothèses. Principale conséquence de cette opération : les caractéristiques du produit établies de cette façon ne peuvent plus refléter les performances environnementales du système agro-alimentaire dont il est issu.

L’ACV est en mesure de compléter de façon déterminante les approches centrées sur la compréhension de l’impact environnemental des pratiques de l’agriculteur. Quand il s’agit de pratiques de fertilisation par exemple, les outils de diagnostic débouchent sur les recommandations argumentées pour limiter le risque d’excédents transférés vers le milieu environnant. L’ACV conçue pour l’activité agricole reprend ce volet en apportant une évaluation du bilan de la fertilisation à l’échelle de l’exploitation, et va au-delà. Elle étend son champ d’investigation aux impacts environnementaux de la fabrication des engrais utilisés et rapproche ces informations des impacts liés à l’utilisation de ces mêmes engrais. Intrant par intrant, l’analyse élargit progressivement le périmètre des activités liées étroitement à l’activité agricole. L’aval de la production agricole peut être lui-même investi ; nous l’avons vu avec les activités de transformation agro-alimentaire. Si cela fait partie des objectifs, les impacts potentiels de la distribution, de la commercialisation et de la consommation des produits finis peuvent être déterminés.


Les choix effectués par l’agriculteur dans le pilotage de son système de production ont des répercussions sur les volumes d’intrants utilisés. Au moment de commercialiser ces produits, il peut également choisir de privilégier tel circuit de valorisation plutôt que tel autre. La méthode d’ACV employée le rend ainsi solidaire du périmètre de ses fournisseurs et de ses clients, au point d’agréger les impacts environnementaux des activités en amont et en aval avec ceux des processus de son agro-système. Les émissions de gaz à effet de serre de l’exploitation agricole et des entreprises qui fonctionnent en lien avec elle peuvent être additionnées et l’étude de la répartition de ces émissions propose de situer la responsabilité du sous-système agricole dans cet ensemble. L’ACV ouvre ainsi sur l’identification de nouvelles possibilités d’agir dans le sens de la réduction de certains impacts, en proposant aussi de changer l’ordre des priorités (porter ses efforts sur l’amont, l’étape agricole, ou l’aval).


Mais si le centre décisionnel de l’activité agricole dispose d’une marge de manœuvre pour faire croître ou décroître ses flux entrants et sortants, en revanche, la responsabilité de l’efficacité des processus des fournisseurs et des clients ne peut pas lui être attribuée. Et les moyens d’accroître cette efficacité sont la plupart du temps en dehors de son champ d’intervention. D’autant plus que les impacts dont il est question cumulent a priori ceux des activités des clients et des fournisseurs avec ceux des entreprises qui les côtoient dans leur propre système productif. Lorsque l’ACV du lait cherche à prendre en compte les impacts des concentrés achetés pour l’alimentation du troupeau, elle intègre des résultats de l’ACV de ces concentrés. Cette "analyse dans l’analyse" s’intéressera aux productions végétales sollicitées, à leur transport vers l’usine, à leur transformation, puis à l’acheminement des aliments jusqu’à l’élevage. C’est au prix d’agrégations successives que l’Analyse de Cycle de Vie parvient à caractériser l’activité agricole et ses produits.


Il nous semble important de noter ici que chaque ACV a dessiné son propre périmètre en faisant le choix de prendre en compte tel compartiment ou d’exclure tel autre au sein du système qu’elle étudie. Les indicateurs destinés à être agrégés ont donc été établis au moyen de prismes d’observation qui n’ont pas tous opéré de la même façon. La prise en compte des activités de transport et de leurs impacts peut par exemple varier d’une analyse à l’autre. Dans le cadre de l’étude d’une filière, la prise en compte des transports de l’amont peut être différente de celle des transports vers l’aval. Si ces différences ne sont plus accessibles au moment de rapprocher le transport des matières premières végétales vers l’usine d’alimentation animale et le transport du lait vers la fromagerie (par exemple), une interprétation biaisée s’en suivra.
La capacité de l’Analyse de Cycle de Vie à cumuler les impacts des maillons d’une chaîne d’activités peut par conséquent être affectée par une prise en compte partielle de certaines activités et de certains impacts (avec des approches variables pour chaque maillon).

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