Suite au programme Parméeli, en partenariat avec le Bureau Technique de la Promotion Laitière (B.T.P.L.).

Les partenaires de PaRMEELI ont choisi de mettre en œuvre une méthode de type "Analyse de Cycle de Vie" qui permet d’évaluer les impacts environnementaux de la production d’un produit laitier en tenant compte de toutes les étapes nécessaires à sa fabrication, du sol de l’exploitation à la table du consommateur.


Doc. BTPL action Parméeli (publication Janvier 2010)

Le lien vers le document

"Comprendre le bilan environnemental

des filières laitières": document à télécharger.

 

 


 

 

Les outils d’évaluation des impacts environnementaux de l’agriculture évoluent pour atteindre de nouveaux objectifs.

La quantification des consommations d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre devient une étape incontournable et parallèlement plusieurs tendances fortes peuvent être relevées. On distingue tout d’abord les outils qui se tournent vers l’analyse des processus ou des systèmes reposant sur un ensemble de processus (c’est le cas dans l’agro-alimentaire) avec une vocation à détecter les marges de progression, les économies à faire sur tel ou tel poste consommateur ou émetteur.

Viennent ensuite des outils dont le projet principal est d’ouvrir l’analyse d’un système (agricole ou industriel) en le replaçant dans son environnement économique, pour prendre en compte les impacts des activités en amont et en aval du système étudié. L’enjeu est davantage ici de situer les contributions de chacun des maillons d’une chaîne de consommateurs et d’émetteurs.

Dans la continuité de ces outils capables de "mettre en perspective", des tentatives d’aborder le territoire dans sa globalité sont à l’étude, avec l’ambition de sommer les impacts des activités qui s’y déroulent à partir d’un recensement des entités consommatrices et émettrices (le volet agricole pouvant être très détaillé).

Les méthodes d’Analyse de Cycle de Vie des produits et des services (ACV) tiennent un rôle central dans cet outillage de l’évaluation environnementale, en fixant un cap "global" au diagnostic et aux préconisations tout en restant parfaitement capables, au besoin, de décortiquer tel ou tel sous-système en autant de processus élémentaires pour hiérarchiser les sources d’impacts et les actions à mener.

 Avec cette faculté initiale à la polyvalence, l’ACV a suscité la mise au point de multiples versions simplifiées, y compris pour les filières agricoles et agro-alimentaires.

Ces dernières années elle a également marqué de son empreinte les innovations méthodologiques des différents outils d’analyse de l’efficacité énergétique ou du bilan des émissions de gaz à effet de serre élaborés au départ sur d’autres bases. Ces évolutions se sont ainsi traduites par un élargissement du périmètre de collecte des données et une acuité accrue pour additionner tous les impacts d’une chaîne d’activités.

De plus les approches centrées sur l’énergie et le carbone ont intégré de nouveaux critères, pour une évaluation simultanée des impacts sur l’eau (consommations) et les milieux aquatiques (rejets), le sol, les milieux terrestres et l’air...

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Proposition pour faire évoluer les outils d'évaluation environnementale appliqués à la filière laitière et aux autres filières agricoles


François Fuchs (1), Gérard Sidot(1), Carl Waroquiers (1).

(1) : Bureau technique de promotion laitière (B.T.P.L.), La Futaie, 72700 ROUILLON

avec la participation de van der Werf H.M.G.(2) (3), Claver Kanyarushoki (4) et des partenaires de l'action PARMEELI (Partenariat régional pour la maîtrise de l’énergie et de l’eau en production de lait et dans l’industrie laitière, projet Casdar 2006).

(2) : INRA, UMR 1069 Sol Agro et hydrosystème, spatialisation, F-35000 Rennes, France
(3) : Agrocampus Rennes, UMR 1069 Sol Agro et hydrosystème, spatialisation, F-35000 Rennes, France
(4) : Ecole supérieure d’agriculture d’Angers, 55 rue Rabelais, F-49007 Angers, France


Résumé

En s'appuyant sur l'implication d'un groupe d'agriculteurs du Pays Thouarsais et de leurs coopératives en amont et en aval, et grâce à l'utilisation d'outils d'évaluation environnementale appropriés, les partenaires du programme PaRMEELI ont pu retracer le cycle de vie du lait de vache et du lait de chèvre jusqu'à la distribution des produits finis (beurre et fromages de Poitou-Charentes). Il ressort de l'étude des cas concrets rencontrés dans les filières de Poitou-Charentes que l'éco-conception des produits laitiers est une démarche qui nécessite une répartition des efforts et une concertation entre les acteurs de la filière. Sans négliger les possibilités d'améliorer les performances environnementales des élevages, il ne faut pas se focaliser uniquement sur l'étape de production pour engager une démarche de progrès probante. Ce travail contribue à formuler une proposition d'évolution des plans d'actions environnementaux d'une part, et des pistes pour l'amélioration de l'aide à la décision et de l'information environnementale sur les produits d'autre part.

Mots-clés : évaluation environnementale, éco-conception, filières laitières.

 

Abstract

How environmental assessment of multifonctional dairy systems could change the life cycle analysis in practice
Stakeholders of the Poitou-Charentes region (central western France) worked together to analyse the environmental impacts of regional dairy chains so as to identify improvement options. We analysed fifteen dairy farms of the pays Thouarsais using life cycle analysis. Results for post-farm dairy chains are based on data for several dairy plants in Poitou-Charentes, which process cow and goat milk into butter, soft white cheese and traditional goat cheese. The ongoing analysis of dairy systems enlightened the necessity to take into account the multifonctionality of agriculture to compare different situations and to identify the best practices. Obviously agricultural activities generate flows of biomass and energy linked with farming processes and ecosystems. But in the other hand, they provide products and services, including non trade concerns. A new challenge for LCA consists in making clear if advantages and disadvantages are evenly balanced. For this purpose, the authors propose an integrated approach which opens a new perspective for environmental strategies in supply chains.

Keywords: environmental impacts, eco-industry, milk production.




Introduction


Objet multiforme en perpétuelle évolution, l’ACV mobilise de nombreuses équipes de chercheurs à travers le monde. Le temps où elle ne s’intéressait qu’aux activités industrielles est donc révolu et de nombreux travaux portent désormais sur les activités agricoles. Tandis que certaines approches s’intéressent aux systèmes de production agricoles, d’autres se focalisent davantage sur le système productif agro-alimentaire, autour des activités de transformation, et vont chercher auprès des premières le complément d’enquête qui leur manque sur les impacts proprement agricoles. C’est en se confrontant de plus en plus au "monde vivant" que l’ACV a été amenée à relever de nouveaux défis. L’évaluation environnementale qu’elle produit, même si elle ne détermine que des impacts potentiels et ne repose pas sur des mesures, se doit de refléter au plus près la situation vécue par les acteurs de terrain. Sa crédibilité est en jeu lorsque l’analyse aboutit à des calculs théoriques d’indicateurs n’intégrant pas suffisamment les réalités du milieu où elle s’applique et laissant des zones d’ombre en face d’enjeux environnementaux très localisés et diversifiés. Indépendamment de sa capacité à faire le bilan écologique de l’ensemble d’une filière longue en partant des fournisseurs et en allant jusqu’aux consommateurs finaux, l’ACV joue désormais sa crédibilité sur les terrains de la biodiversité, du stockage de carbone dans les sols, des changements de destination des surfaces (déforestation, remise en culture des prairies, etc.), des aspects sociaux et de la durabilité au sens large.
Les attentes des agriculteurs vis-à-vis des outils d’évaluation apparaissent de plus en plus clairement : le prisme de la méthode employée doit leur permettre d’identifier les impacts négatifs à mieux maîtriser tout en mettant en lumière les effets bénéfiques de certaines de leurs pratiques. Effets bénéfiques sur l’environnement naturel lorsque l’agriculture contribue par exemple à la mosaïque des biotopes à l’échelle d’un territoire, mais aussi plus largement quand l’agriculture locale remplit d’autres fonctions. Ils peuvent notamment souhaiter voir le rôle nourricier de l’agriculture mis en avant avec un indicateur approprié. Une approche multicritères est ainsi en mesure de montrer un profil d’agriculture où des signaux plus ou moins alarmants sur le volet des émissions polluantes se combinent avec une représentation des services rendus au territoire. Si cette demande de reconnaissance est légitime, et que théoriquement il est envisageable de la concevoir comme une amélioration de l’ACV, les initiatives dans ce sens sont rares et ne débouchent pas encore sur des solutions opérationnelles.


1. Contexte : quand l’Analyse de Cycle de Vie se focalise sur le produit final

Les systèmes agro-alimentaires en général et les filières laitières en particulier ne sont pas aussi verticaux que la plupart des représentations le laisse entendre. Ils ne sont pas linéaires mais plutôt ramifiés et semblables à des grappes (Saives et al., 2002). L’ACV passe par la modélisation d’objets complexes dans leur organisation et éclatés spatialement. La collecte d’informations concerne a priori une multitude d’acteurs, de l’extraction des ressources indispensables aux fournisseurs de l’agriculture, à la commercialisation des produits finals, en passant par l’étape agricole et la transformation.
Dans leur travail de détermination des impacts potentiels de ces systèmes, les pilotes de l’analyse sont amenés à faire des choix. Ils décident de travailler avec un jeu de critères, sur un périmètre bien défini, et ils choisissent l’unité qui permettra, au terme de l’analyse, l’expression des résultats. Il s’agit de l’unité fonctionnelle, en référence à la fonction du système que l’on souhaite caractériser. Elle doit permettre de comparer les performances environnementales de systèmes qui ont la même fonction principale. Dans le cas des filières laitières, la fonction principale privilégiée peut être la production de fromage, et dans ce cas les impacts potentiels seront exprimés par kilogramme ou par tonne de fromage. L’objectif serait ici de comparer la capacité de plusieurs filières laitières à limiter leurs impacts environnementaux par tonne de fromage vendue.


En principe, la question de l’unité fonctionnelle est ouverte. L’éventail des possibilités donne d’ailleurs lieu à de nombreuses discussions dans le cadre de la mise en place de l’affichage des caractéristiques environnementales des produits. Les avantages et les inconvénients des différentes options sont mesurés pour choisir, par exemple, entre une unité de masse (le kg de produit) et une expression des impacts par type de portion (en volume ou en masse) proposée au consommateur. Ceci confirme un arbitrage implicite en faveur de la reconnaissance d’une association entre agriculture et agro-alimentaire dont la fonction essentielle serait d’extraire des ressources et de produire des denrées, fonction immédiatement reliée aux actes commerciaux. Notons qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’une reconnaissance du rôle nourricier des filières agricoles, puisque le contenu énergétique (pour ne se limiter qu’à cette caractéristique nutritionnelle) n’entre pas en ligne de compte au moment de comparer un kg de telle spécialité fromagère avec un kg de telle autre.


L’alternative qui aurait consisté à reconnaître à l’agriculture un ensemble de fonctions liées à l’utilisation durable de l’espace (c'est-à-dire dans le sens de la durabilité) n’a semble-t-il pas été explorée pour proposer d’autres unités fonctionnelles. En revanche, les impacts environnementaux des systèmes agricoles déterminés par une ACV qui s’arrête à la porte de l’exploitation peuvent être exprimés par unité de surface. Dans ce cas les systèmes agricoles peuvent être également jugés et comparés sur leur capacité à limiter leurs impacts environnementaux par hectare.


Par ailleurs, lorsque l’on s’intéresse aux flux massiques de matières générés par une activité, une attention particulière doit porter sur les produits pondéreux, notamment les produits riches en eau. Et il ne faut pas écarter le cas de figure d’une comparaison de deux systèmes productifs agro-alimentaires dont les niveaux d’impacts seraient équivalents mais pour lesquels le niveau de concentration de la matière utile dans le produit final ne serait pas le même. Si les impacts sont exprimés par kg de produit final, c’est bien la filière des produits les moins secs qui apparaîtra comme la plus avantageuse.
Le fonctionnement classique des systèmes productifs agro-alimentaires repose sur un faisceau de flux entrants divers (les matières premières, les ingrédients, les consommations énergétiques, etc.) et un faisceau de flux sortants a priori aussi diversifié (produits principaux, co-produits, déchets, rejets, etc.).

Par force, face à cette réalité, l’approche "produit" repose sur des choix méthodologiques pointus. Pour caractériser l’une des productions finales d’un tel système, il est en effet nécessaire d’effectuer un tri entre les impacts et d’affecter au produit choisi la part qui lui incombe. Le principe d’une répartition entre produits au prorata des chiffres d’affaires qu’ils génèrent en aval est largement admis et pratiqué. Les co-produits dont la valeur marchande est moindre hériteront d’une partie proportionnée des impacts de l’ensemble du système. Cette répartition par allocation économique est par conséquent liée au marché des produits et des co-produits.


Les systèmes agricoles de polyculture-élevage sont typiquement multi-produits. Les outils d’ACV appliquée pour leur évaluation environnementale fonctionnent ainsi en deux temps : la détermination des impacts environnementaux globaux de l’exploitation (ils peuvent être exprimés par ha, nous l’avons vu, par simple division des consommations et émissions estimées par la surface de l’exploitation), puis la répartition de ces impacts sur les différentes productions exportées.
Si les flux entrants de la filière étudiée sont constitués de matières premières qui sont elles-mêmes souvent des co-produits, leurs caractéristiques environnementales sont donc également le résultat d’une répartition dépendante du marché des matières premières.

Nous retiendrons que l’analyse d’une activité de transformation agro-alimentaire à des fins de caractérisation d’un produit final est encadrée par deux jeux d’allocations. Ceci revient à cumuler des hypothèses. Principale conséquence de cette opération : les caractéristiques du produit établies de cette façon ne peuvent plus refléter les performances environnementales du système agro-alimentaire dont il est issu.

L’ACV est en mesure de compléter de façon déterminante les approches centrées sur la compréhension de l’impact environnemental des pratiques de l’agriculteur. Quand il s’agit de pratiques de fertilisation par exemple, les outils de diagnostic débouchent sur les recommandations argumentées pour limiter le risque d’excédents transférés vers le milieu environnant. L’ACV conçue pour l’activité agricole reprend ce volet en apportant une évaluation du bilan de la fertilisation à l’échelle de l’exploitation, et va au-delà. Elle étend son champ d’investigation aux impacts environnementaux de la fabrication des engrais utilisés et rapproche ces informations des impacts liés à l’utilisation de ces mêmes engrais. Intrant par intrant, l’analyse élargit progressivement le périmètre des activités liées étroitement à l’activité agricole. L’aval de la production agricole peut être lui-même investi ; nous l’avons vu avec les activités de transformation agro-alimentaire. Si cela fait partie des objectifs, les impacts potentiels de la distribution, de la commercialisation et de la consommation des produits finis peuvent être déterminés.


Les choix effectués par l’agriculteur dans le pilotage de son système de production ont des répercussions sur les volumes d’intrants utilisés. Au moment de commercialiser ces produits, il peut également choisir de privilégier tel circuit de valorisation plutôt que tel autre. La méthode d’ACV employée le rend ainsi solidaire du périmètre de ses fournisseurs et de ses clients, au point d’agréger les impacts environnementaux des activités en amont et en aval avec ceux des processus de son agro-système. Les émissions de gaz à effet de serre de l’exploitation agricole et des entreprises qui fonctionnent en lien avec elle peuvent être additionnées et l’étude de la répartition de ces émissions propose de situer la responsabilité du sous-système agricole dans cet ensemble. L’ACV ouvre ainsi sur l’identification de nouvelles possibilités d’agir dans le sens de la réduction de certains impacts, en proposant aussi de changer l’ordre des priorités (porter ses efforts sur l’amont, l’étape agricole, ou l’aval).


Mais si le centre décisionnel de l’activité agricole dispose d’une marge de manœuvre pour faire croître ou décroître ses flux entrants et sortants, en revanche, la responsabilité de l’efficacité des processus des fournisseurs et des clients ne peut pas lui être attribuée. Et les moyens d’accroître cette efficacité sont la plupart du temps en dehors de son champ d’intervention. D’autant plus que les impacts dont il est question cumulent a priori ceux des activités des clients et des fournisseurs avec ceux des entreprises qui les côtoient dans leur propre système productif. Lorsque l’ACV du lait cherche à prendre en compte les impacts des concentrés achetés pour l’alimentation du troupeau, elle intègre des résultats de l’ACV de ces concentrés. Cette "analyse dans l’analyse" s’intéressera aux productions végétales sollicitées, à leur transport vers l’usine, à leur transformation, puis à l’acheminement des aliments jusqu’à l’élevage. C’est au prix d’agrégations successives que l’Analyse de Cycle de Vie parvient à caractériser l’activité agricole et ses produits.


Il nous semble important de noter ici que chaque ACV a dessiné son propre périmètre en faisant le choix de prendre en compte tel compartiment ou d’exclure tel autre au sein du système qu’elle étudie. Les indicateurs destinés à être agrégés ont donc été établis au moyen de prismes d’observation qui n’ont pas tous opéré de la même façon. La prise en compte des activités de transport et de leurs impacts peut par exemple varier d’une analyse à l’autre. Dans le cadre de l’étude d’une filière, la prise en compte des transports de l’amont peut être différente de celle des transports vers l’aval. Si ces différences ne sont plus accessibles au moment de rapprocher le transport des matières premières végétales vers l’usine d’alimentation animale et le transport du lait vers la fromagerie (par exemple), une interprétation biaisée s’en suivra.
La capacité de l’Analyse de Cycle de Vie à cumuler les impacts des maillons d’une chaîne d’activités peut par conséquent être affectée par une prise en compte partielle de certaines activités et de certains impacts (avec des approches variables pour chaque maillon).


2. L'application aux filières lait de chèvre et lait de vache en région Poitou-Charentes


Outils et méthode

Nous l’avons vu, en quelques années la méthode normalisée d’ACV a obtenu une certaine reconnaissance qui tient en grande partie à sa capacité à élargir le périmètre de l'évaluation environnementale à l'ensemble d'une filière agro-alimentaire "du sol à la table". Elle entend répondre à une demande de critères de choix au moment où, suite au Grenelle de l’Environnement, le grand public fait de plus en plus le lien entre alimentation et environnement (Redlingshöfer, 2006). Au plan international elle est employée pour situer la responsabilité des activités d’élevage en matière de changement climatique (FAO, 2010).
C'est dans ce contexte que la démarche du Partenariat régional pour la maîtrise de l'énergie et de l'eau en production de lait et dans l'industrie laitière (PARMEELI) a été entreprise, en se fixant comme principal objectif d'expertiser l'approche ACV en l'appliquant à différentes filières laitières.


Les agronomes, praticiens de l'ACV et experts de la filière laitière contribuant à l’action PARMEELI se sont appuyés sur des rencontres avec des agriculteurs et des personnes ressources de coopératives agricoles de Poitou-Charentes. Le groupe s'est intéressé à différents cas de figure rencontrés dans cette région (filières en circuits courts et circuits longs et ramifiés, pour le lait de vache et le lait de chèvre) pour les caractériser. Leur objectif était également d’identifier les marges de manœuvres pour une atténuation des impacts de chaque maillon et de l'ensemble de la chaîne. Des investigations ont ainsi été menées avec la collaboration d'agriculteurs et d'entreprises de l'amont (alimentation du bétail) et de l'aval (collecte et transformation du lait) avec la volonté de faire progresser les parties prenantes. La restitution des analyses a donné lieu à des discussions sur la façon d'interpréter les impacts de l'agriculture. Il s’est notamment agi d’étudier la possibilité d'intégrer la multifonctionnalité agricole des exploitations qui associent productions végétales et élevage laitier (Huyghe, 2008).


Les partenaires ont, dans un premier temps opté pour une expression des résultats par kg de produit final en cumulant les impacts de la production du lait, de sa transformation, de son conditionnement et parfois de sa distribution et de sa fin de vie. Ceci supposait que les impacts de l'exploitation soient à un moment exprimés par cette même unité fonctionnelle, et que la contribution de la production de lait soit isolée du reste grâce à une clé de répartition. L’allocation économique a été testée dans ce cadre-là.


Une trentaine d'exploitations dont le système repose sur la production de fourrages, de cultures variées et sur l'élevage laitier (espèce bovine et espèce caprine) ont été diagnostiquées en parallèle avec l'outil EDEN-E pour une évaluation de leurs principaux impacts potentiels sur l'environnement (Kanyarushoki et al., 2011) et l'outil Planète-GES pour une approche du bilan des émissions de gaz à effet de serre et du stockage de carbone. Les deux outils ayant fourni des estimations très voisines des émissions brutes sur chaque exploitation, nous avons choisi de rapprocher les émissions brutes calculées par EDEN-E et les émissions nettes (prenant ainsi en compte certaines possibilités reconnues de stockage de carbone) calculée par Planète-GES. Nous avons ainsi vérifié que l’utilisation de plusieurs outils complémentaires pouvait s'avérer nécessaire et fructueuse pour étoffer l’ACV. Le but était alors de compléter l'analyse des externalités négatives de l'activité agricole sur l'environnement par une prise en compte aussi large que possible des services et de produits fournis par l'agriculture. En intégrant un mécanisme de compensation étroitement lié aux processus de l'exploitation agricole – c'est le cas du stockage de carbone dans les sols qui vient compenser à la source les émissions de l'agriculture – l’intention était d’ouvrir la voie pour une possible reconnaissance et prise en compte des services environnementaux liées directement à l'activité agricole, marchands et non marchands, productifs et non productifs (Bonnal et al., 2000).


Il aurait en particulier été souhaitable d’intégrer par la suite les effets de certaines pratiques d'élevage misant sur la valorisation de prairies diversifiées et entourées de haies. L’ACV aurait ainsi montré sa capacité à distinguer les variations d’impacts environnementaux liés à de telles pratiques.
Dans le cadre de PARMEELI, le choix a été fait d'exprimer les impacts potentiels par ha de Surface Agricole Utile (SAU de l’exploitation) augmentée de la surface utilisée indirectement (sur d’autres exploitations agricoles), en particulier celle qui est mobilisée ailleurs pour produire les aliments du bétail achetés. L’unité de surface est apparue comme étant la plus appropriée pour refléter les différentes fonctions assurées par les systèmes de polyculture-élevage. Les niveaux d'impacts par ha sont ainsi étudiés afin de détecter d'éventuelles performances intéressantes sur certaines exploitations, notamment celles qui reposeraient sur une complémentarité optimale entre production végétale et production animale.
Après la phase d’analyse des systèmes agricoles laitiers, les partenaires de PARMEELI ont choisi d'exprimer les impacts du transport du lait et de sa transformation par tonne de lait entrant.
Une réserve a été émise au sujet de ce choix car nous aurions pu considérer que cette étape de la chaîne du lait méritait une unité fonctionnelle spécifique pour mieux répondre aux besoins de critères d’efficacité des différents opérateurs de la chaîne.
Notons en préambule que les filières locales de transformation du lait de chèvre et du lait de vache qui ont été analysées sont relativement simples dans leur structuration : le lait et les éventuels ingrédients laitiers sont surtout d'origine locale, la transformation débouche sur un petit nombre de co-produits et les sites sont relativement autonomes dans leur fonctionnement. Les technologies employées pour produire des pâtes lactiques ainsi que celles utilisées pour produire du beurre peuvent être qualifiées de traditionnelles.



Présentation des résultats


Evaluation des impacts potentiels des ateliers laitiers bovins et caprins

Les résultats qui concernent l'étape de production du lait sur les exploitations et qui sont communiqués ici proviennent de l'analyse de 15 exploitations "bovin lait" et 6 exploitations "caprin lait". Nous avons comparé les performances environnementales de ces exploitations avec celles de 41 exploitations bretonnes étudiées auparavant dans le cadre d'une autre étude (Kanyarushoki et al., 2010).
Après avoir caractérisé chaque exploitation de polyculture-élevage grâce à un choix d'indicateurs d'impacts potentiels, nous avons souhaité comparer les exploitations entre elles pour identifier celles qui semblent présenter les meilleures performances environnementales au regard de leur production ou des moyens qu'elles mobilisent pour extraire cette production (Tableau 1).

Parméeli - tableau 1

Nous avons ainsi fait le choix de deux unités fonctionnelles successivement pour exprimer les impacts potentiels.

a) Dans un premier temps, sans chercher à procéder à une imputation des impacts entre l'atelier végétal et l'atelier animal de l'exploitation : l'unité fonctionnelle choisie est l'hectare utilisé, en tenant compte des surfaces mobilisées en dehors de l'exploitation pour la production de végétaux (comme le blé, le soja) entrant dans la composition des aliments du bétail achetés.
b) Dans un second temps, pour identifier la part des impacts liés strictement à l'activité d'élevage de l'exploitation : l'unité fonctionnelle choisie est la tonne de lait standard (sur la matière grasse et la matière protéique) vendue. Nous avons alors séparé les fermes en deux parties : d’une part la production des cultures non utilisées pour nourrir les animaux (cultures de vente) et d’autre part la production animale et les végétaux associés. Ensuite, nous avons utilisé l'allocation économique pour une première approche de l'imputation des impacts entre le lait et les animaux vendus.

Les exploitations étudiées ont été sélectionnées sur des critères qualitatifs : il s'agissait d'analyser des exploitations où l'élevage laitier ne côtoyait que des productions végétales pour éviter l'imputation entre plusieurs productions animales, et des exploitations représentatives où l'élevage laitier s'est modernisé et poursuit son développement en cohérence avec la demande de la filière. L'échantillon est finalement assez hétérogène en ce qui concerne l'importance du cheptel et des surfaces, du litrage livré, et des niveaux d'autonomie et de productivité.


Les exploitations polyculture-élevage caprin, pour lesquelles nous n'avons pas de base de comparaison, sont typiquement des systèmes centrés sur un atelier caprin productif dépendant d’apports extérieurs. Elles se caractérisent en effet par des SAU relativement élevées, une part des surfaces dédiées à l'alimentation du troupeau assez réduite, une utilisation annuelle d'aliments concentrés à hauteur de 514 kg par chèvre en moyenne, et des niveaux de consommation d'azote et d'énergies comparables à ceux des exploitations polyculture-élevage bovin lait. La production de lait par chèvre est supérieure à 750 kg par an. La vente du lait représente plus de 90% du chiffre d'affaire des exploitations étudiées. Le bilan azoté global montre un excédent d’azote sensiblement supérieur à celui des élevages bovins lait.


Impacts de la chaîne du lait de vache en aval de la production

L'ACV du lait de vache vendu par les exploitations de polyculture-élevage bovin "lait" a été complétée par un inventaire des flux de matières et d'énergie liés : à la collecte de ce lait, à l'utilisation de ce lait pour la fabrication de beurre et de crème destinés au marché de l'alimentation humaine, à la distribution de ces produits, et au transport des co-produits (essentiellement le lait écrémé) vers d'autres sites de transformation en région et hors région (Tableau 2).
En ce qui concerne la consommation d'énergie non-renouvelable et la contribution au changement climatique, l'impact global de la chaîne du lait semble pouvoir varier de façon importante.

Parmeeli - Tableau 2


Discussion et conclusions

En ce qui concerne le volet exploitation, nous constatons des niveaux d'impacts par hectare comparables pour les exploitations bretonnes et thouarsaises. Après imputation des impacts entre le lait vendu et les autres productions de ces exploitations en polyculture-élevage, les impacts des ateliers laitiers de l'échantillon du Thouarsais – exprimés par 1000 kg de lait – sont supérieurs à ceux des ateliers laitiers bretons.
Une première approche des systèmes d'élevage caprins montre des niveaux d'impacts supérieurs à ceux des systèmes bovins lait
Notre analyse de systèmes "filières" peu étendus où les circuits sont relativement courts nous permet de quantifier des niveaux d’impacts relativement importants pour les étapes qui précèdent et qui suivent le maillon de production du lait. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne l'utilisation de l’énergie non-renouvelable et les émissions de gaz à effet de serre. Nous observons ainsi que de façon plus générale les activités en amont et en aval des élevages peuvent contribuer de façon significative à la signature environnementale des produits, et que cette tendance peut se renforcer dans des filières plus ramifiées.
Notons à ce propos que les inventaires concernant le devenir des produits, des co-produits et des déchets sont difficiles à mener quand les étapes du secteur aval font appel à un grand nombre d'acteurs économiques qui interagissent.

Nous retiendrons ainsi que les filières laitières les plus longues et les plus complexes peuvent générer des niveaux d'impacts et comporter des marges de progression non encore élucidés.

 

3. Discussion


Les expériences d’ACV montrent que le fait d’accéder à la connaissance des flux de matière et d'énergie d'un système productif ramifié reste un projet complexe. Dans le cas des filières laitières, cela se vérifie si l’on doit tenir compte de l'ensemble des activités qui gravitent autour de la production laitière. Ce n'est pas une filière qui doit être analysée mais un entrelacs de filières, avec de multiples consommations et productions intermédiaires, et des co-produits à l'arrivée. L'identification des impacts environnementaux d'un produit laitier doit par conséquent passer par l'analyse d'un système compartimenté plus ou moins vaste.

Dans la plupart des cas des voies de simplification sont  employées, avec des conséquences diverses sur les résultats obtenus.

Par exemple, le fait de considérer qu'un fromage est le produit final d'une filière linéaire amont-aval avec des fournisseurs, un transformateur, un distributeur et des maillons logistiques entre eux est une forme de simplification. Ce présupposé risque d'écarter du champ de l'analyse les acteurs copartageants du système productif et qui ne sont pas à proximité immédiate des grands axes de la filière, parce qu'ils sont fournisseurs d'infrastructures, de services, d'ingrédients, ou bien sont prestataires des fournisseurs ou des maillons logistiques... La simplification ne devrait pas se faire au détriment de l'observation des périmètres éloignés de l'atelier de transformation où le lait devient fromage. Les premières publications disponibles au sujet de l'évaluation environnementale du lait et des produits laitiers décrivent des systèmes simples, reposant sur le fonctionnement de quelques grands compartiments situés entre l'exploitation agricole et le consommateur, ou de quelques entreprises autour de l'activité d'une usine (Berlin, 2002).

A la diversité des situations rencontrées sur le terrain (entre "circuits courts" et filières longues par exemple) s'ajoute donc la diversité des pratiques d'inventaire des flux (ADEME, 2008). Et les efforts déployés afin de fixer des normes pour encadrer la réalisation des évaluations environnementales et la mise au point d'une méthodologie uniformisée pourraient ne pas couvrir ce volet. La comparaison de résultats de deux ACV d’un même produit ne sera possible qu’après un examen approfondi des systèmes étudiés et des choix faits lors de la mise en œuvre de la méthode.
Nous l’avons vu, à partir des des premières évaluations environnementales des produits laitiers s'appuyant sur une approche "cycle de vie", il n'y a pas de distinction à faire entre l'étape agricole et les étapes industrielles de l'aval des filières.

Les mêmes outils d'analyse et les mêmes indicateurs d'impacts environnementaux sont mis en œuvre sur les exploitations agricoles et les ateliers de transformation par exemple. Le but recherché étant de caractériser le produit final, on procède en deux temps :

- en ce qui concerne l'activité agricole une partie des impacts environnementaux de l'atelier laitier est attribuée au lait vendu, et des indicateurs sont calculés par litre de lait (kg d'éq. CO2 par litre par exemple),
- pour l'activité de transformation, si le principal produit commercialisé est un fromage, une partie des impacts environnementaux de l'activité de l'usine est attribuée aux quantités produites et des indicateurs sont calculés par kilogramme de fromage (kg d'éq. CO2 par kg), en fonction de la quantité de lait utilisé par fromage, les impacts par litre de lait viennent s'ajouter aux impacts par kg de fromage pour commencer à caractériser le cycle de vie de ce dernier, avec un indicateur final par kg de fromage.
Ce raisonnement et ce mode de calcul sont possibles à condition :
- de considérer les mêmes catégories d'impact sur les exploitations agricoles et au niveau des usines de transformation (émissions de GES, eutrophisation, etc.),
- d'admettre que les impacts de l'activité agricole peuvent être répartis intégralement sur les produits vendus, en définissant un mode de répartition de ces impacts entre les différents produits de l'exploitation (entre les productions végétales, le lait et la viande...),
- d'appliquer des grilles d'inventaire identiques ou au moins comparables pour comptabiliser les différents flux (impacts liés aux infrastructures, aux processus, aux intrants, etc.) sur les exploitations agricoles et dans les usines de transformation.


Notons que les deux premières conditions sous-entendent que l'activité agricole constitue une étape industrielle comme les autres aux yeux de l’ACV. Or, le lien au vivant qui fonde l'originalité de la nature et du moteur de l'activité agricole impose certainement d'utiliser des méthodes d'évaluation environnementale qui sachent s'articuler autour d’indicateurs spécifiques. Il s'agit en premier lieu d'intégrer le fait que l'agriculture utilise de l'espace, qu'elle est très dépendante des caractéristiques de cet espace, et que lui-même est plus ou moins sensible aux activités agricoles.

Pour cette raison au moins, l'analyse de l'étape agricole et de ses impacts sur l'environnement ne peut pas se cantonner à des critères de performance inféodés aux processus industriels. Il est nécessaire d'élargir le spectre de l'évaluation en s'appuyant sur des indicateurs quantitatifs et qualitatifs du lien qui existe entre l'agriculture et les écosystèmes sur lesquels elle se développe et dont elle oriente la productivité. Une certaine prise en compte de la multifonctionnalité de l'agriculture et des services non marchands qu'elle apporte nous semble à ce titre être une piste à approfondir. Elle permettrait sans doute de déjouer l'interprétation restrictive actuelle qui attribue aux seules productions vendues l'ensemble des impacts environnementaux de l'activité agricole.

A ce stade, nous préconisons par conséquent une reconnaissance d’une discontinuité entre l'activité agricole et les autres étapes de la chaîne des produits agro-alimentaires, au travers de la mise en œuvre d'indicateurs adaptés et d'une nouvelle approche de l'affectation des impacts aux produits.


4. Les perspectives d’évolution des outils d’analyse


Propositions pour utiliser l’outil ACV dans le cadre d’un bilan environnemental de l’activité agricole


L’expérience de mise à l’épreuve de l’ACV par la pratique dans le contexte des filières laitières de Poitou-Charentes aboutit à des propositions dans le sens d’une évolution de la méthode et des outils.
Une première proposition est liée à la préoccupation de reconnaissance des spécificités agricoles. Elle fait référence à la notion de surface utilisée et à la capacité de l’agriculture à rendre cette surface multifonctionnelle et fertile sans conséquences dommageables sur son environnement.

La difficulté réside ici dans la définition d’un nouveau critère pour associer deux dimensions liées au bilan environnemental : la fourniture de services environnementaux et d’agro-ressources d’une part, et le potentiel de l’agro-système, plus ou moins favorable pour une telle valorisation. Nous voulons ainsi intégrer les variations du milieu qui peuvent conditionner la réussite de l’activité agricole. Il s’agit de considérer que certaines conditions du milieu sur lequel repose l’agro-système peuvent faciliter l’expression de services et la production, tandis qu’à l’inverse, d’autres conditions peuvent rendre ces tâches difficiles pour l’agriculture et lui demander un surcroît d’efforts pour y parvenir. Ces conditions sont par exemple la fertilité du sol, la disponibilité en eau, des aspects climatiques et paysagers. Elles sont a priori variables d’une exploitation agricole à l’autre et se déclinent en combinaisons d’atouts et de limites plus ou moins déterminantes pour le développement de l’activité agricole. Face à ce contexte, l’agriculture est en mesure de développer des techniques et de mobiliser des moyens pour parvenir à ses fins. Cet investissement a des conséquences environnementales, avec des impacts plus ou moins négatifs sur le milieu et en termes de gestion des ressources. L’ACV opère traditionnellement à cette place, pour quantifier ces impacts. Nous proposons de prolonger son analyse en définissant le Service Agro-Ecologique (SAE) lié à l’activité agricole. L’objectif de cet indicateur est de situer la capacité de l’activité agricole à fournir une quantité accrue de services et de produits avec un faible niveau d’impacts négatifs, dans un contexte écologique donné. Sa mise en œuvre à l’échelle d’une exploitation agricole serait subordonnée à trois évaluations complémentaires : celle du potentiel de l’agro-système, sous forme d’un indicateur composite de ses atouts et limites, celle de la valeur globale dégagée par l’activité agricole sous forme de services non marchands et de produits, et celle des effets de son activité considérés comme dommageables pour l’environnement. Il ne s’agit plus de comparer les exploitations sur leurs impacts (leur consommation d’énergie ou leurs émissions de gaz à effet de serre), mais d’introduire un ratio d’efficacité. Un niveau élevé de Service Agro-Ecologique indiquerait par exemple une activité qui tire réellement parti des potentialités de l’agro-système avec une fourniture de services élevée et des impacts négatifs faibles.


Dans des cas de milieux particulièrement défavorables, le Service Agro-Ecologique pourrait être jugé satisfaisant pour une agriculture fournissant une valeur modérée sous forme de produits et de services et un niveau d’impacts significatifs (besoin d’énergie par exemple pour compenser certains handicaps naturels). Les marges de progression d’une exploitation peuvent dans ce cas être axées sur l’amélioration de sa production, de ses services, ou de sa maîtrise de certains impacts. Et chaque exploitation pourrait être amenée à déterminer un objectif de Service Agro-Ecologique à atteindre.
Cette approche offrirait selon nous de nouvelles perspectives pour situer l'intérêt de la promotion des activités d'élevage dans des contextes où celles-ci présentent le meilleur Service Agro-Ecologique par comparaison avec d’autres systèmes agricoles. A terme, il serait envisageable de s’appuyer sur cette notion pour montrer la durabilité de certaines filières animales parvenant à valoriser une biomasse locale avec un bon niveau de productivité par ha dans un contexte de potentiel agronomique limité et avec des besoins de flux de matière et d’énergie très réduits.
Cette proposition vise à apporter le complément d’information qui semble nécessaire pour que l’ACV appliquée à l’agriculture devienne effectivement un outil d’aide à la décision.



Une nouvelle attention à porter à l’interprétation des résultats des ACV des produits alimentaires


L’ACV s'emploie à identifier les opérations qui se distinguent par les contributions les plus importantes aux impacts environnementaux du produit final : elle utilise le terme de "points chauds" pour les désigner. Dans les filières agro-alimentaires, elle tend à localiser ces points du côté des étapes agricoles (Foster et al., 2006) et dans le cas de la chaîne du lait elle voit surtout une prépondérance des activités d’élevage pour expliquer les impacts environnementaux des produits laitiers (Weidema et al., 2008). Les plans d'actions pour l'amélioration des performances environnementales de la filière se tournent alors en priorité vers le volet agricole, les autres compartiments du système productif se retrouvant ainsi en situation de témoin des efforts que l'agriculture doit accomplir.


Mais cette interprétation mérite selon nous d’être reconsidérée. Car si nous admettons que l’ACV ne parvient pas encore à établir un bilan environnemental complet de l’activité agricole (indicateurs manquants, compensations partiellement prises en compte et services environnementaux occultés), il est encore trop tôt pour envisager des comparaisons avec le bilan environnemental des autres activités et déterminer des priorités pour agir. De même, ce bilan n’étant pas établi, il n’est pas possible d’affirmer que les écarts importants de performances environnementales constatés entre exploitations agricoles permettent de présager des marges de progression élevées pour les moins "performantes".


Dans la continuité de cette interpellation, nous pouvons avancer une recommandation de prudence : dans l’état des connaissances actuelles, il faut encore aborder le chantier de l'éco-conception de la façon la plus ouverte possible, en cherchant à impliquer toutes les activités comme des parties prenantes, pour ne pas laisser de compartiments du système productif à la marge. Dans ce contexte, il nous semble que l’interprétation des résultats d'une ACV appliquée à un produit transformé alimentaire peut donc s'imposer une étape d'effacement du point chaud agricole afin de faire apparaître les étapes en amont et en aval. Celles-ci génèrent sans doute des flux de matière et d'énergie importants qui étaient rendus peu perceptibles par comparaison avec les impacts de la matière première agricole vue par le prisme des outils d'analyse actuels. Ce faisant, la diversité des situations peut ressortir, avec une nouvelle pertinence des comparaisons entre systèmes productifs. Puisqu'il y a des enjeux réels et forts autour de ces questions d'évaluation de la durabilité et d'éco-conception pour le développement agricole et rural, nous proposons que les efforts se poursuivent pour que le volet agricole bénéficie de l'approche et des outils appropriés.



Vers de nouvelles orientations pour l’éco-conception dans les filières laitières


L’ACV permet d’accéder à une nouvelle prise de conscience : les conséquences environnementales des façons de produire doivent être replacées dans le contexte plus vaste du cycle de vie des produits. Et parallèlement nous comprenons qu’une action d'amélioration des performances environnementales menée localement peut avoir un effet limité si ce n'est pas l'ensemble de la chaîne de production, de transformation et d'approvisionnement qui est remis en question. Le cas du lait et de l’industrie laitière peut être caractérisé en quelques mots de la façon suivante : une tendance à la concentration des activités de production et de transformation, des bassins de production denses qui côtoient des zones intermédiaires (où les éleveurs sont éloignés les uns des autres), une denrée périssable, et de nombreuses activités en amont et en aval de la production du lait dans les exploitations agricoles. Dans ce contexte, l'exemple de l'impact "consommation d'énergie" lié à la production d'un fromage est révélateur : avec des tâches énergétivores bien réparties tout au long de la chaîne, depuis la production des intrants de l'exploitation, jusqu'à la distribution et la consommation de ce fromage (fin de vie et gestion des déchets), une diminution significative d'un indicateur de type "consommation d'énergie par kg de fromage" ne peut reposer que sur un partage de l'effort entre les différents maillons de la chaîne.


L'analyse des flux, qui apparaissent complexes - soit "distendus" le long d'axes d'échanges interrégionaux ou internationaux, soit condensés autour de pôles locaux d'activités - ouvre la voie à une forme d'éco-conception partagée et coordonnée. Autrement dit, une forme d'écologie industrielle impliquant des acteurs de la filière laitière et d'autres acteurs économiques présents sur le territoire peut s’avérer incontournable pour que des objectifs ambitieux soient atteints en matière de réduction des consommations d’énergie non-renouvelable et de réduction de la contribution au changement climatique. Des exemples sont certes donnés par la coopération laitière de Poitou-Charentes qui recherche désormais des formes de substitution de l'énergie non-renouvelable par des ressources énergétiques renouvelables (essentiellement des sources de biomasse) et produites à proximité des sites de transformation qui en ont besoin. Mais les coopérations dans ce sens peinent encore à montrer des effets positifs probants (Tableau 3).

Parméeli - Tableau 3


Les acteurs économiques peuvent engager des actions de progrès à chaque étape et chacun de leur côté, en faisant appel à certaines innovations, et une certaine coordination des efforts peut s’avérer également très efficace et venir en complément. Des leviers existent du côté du développement des énergies renouvelables, de la recyclabilité des déchets, de l'optimisation des circuits du lait et des produits laitiers finis (logistique collaborative par exemple), ou encore de la reconversion des systèmes agricoles vers des formes d'agriculture écologique. Il faut noter que les coopératives laitières butent sur plusieurs difficultés au moment de s’engager dans des processus d’innovation technique, technologique ou organisationnelle. Nous pouvons en citer deux, pour attirer l’attention sur les moyens à mettre en œuvre pour lever certains verrous :

- les investissements en matière d’éco-conception s’avèrent difficiles à envisager dans un contexte économique tendu et où les solutions offertes par les transports restent avantageuses par rapport à des logiques d’écologie industrielle locale,
- les discussions pour combiner les efforts des transformateurs avec ceux des fournisseurs et des clients sont encore balbutiantes (achats "responsables").

En définitive, si nous voyons certaines actions constructives émerger et se développer sur le terrain de l’éco-conception des produits laitiers, et que nous pouvons déterminer ce que l'adoption de tel nouveau processus ou de tel matériel innovant peut apporter à l’entité engagée dans cette voie, il serait aventureux d’affirmer que cette évolution sera perceptible à l’échelle du bilan environnemental de la filière laitière française.


Pour une amélioration de la qualité de l’information sur les caractéristiques environnementales des produits alimentaires


Les enjeux dans le domaine de l'information environnementale sur les produits et l'accomplissement des efforts escomptés pour réduire les impacts environnementaux des systèmes productifs agricoles et agro-alimentaires sont liés. L’affichage et l’étiquetage des caractéristiques environnementales des produits ont en effet pour objectif initial de faire apparaître les produits les moins dommageables vis-à-vis de l’environnement pour qu’ils soient choisis préférentiellement par les consommateurs.

L’étiquette environnementale devra donc en principe être représentative de la réalité du bilan environnemental du cycle de vie du produit et des systèmes productifs qu’il implique. Dans le cas des produits alimentaires la réalité des impacts de l’agriculture et des activités agro-alimentaires doit être reflétée. Mais nous retrouvons ici les limites du réflexe d’agrégation des impacts de l’agriculture avec ceux de l’industrie.

Un moyen relativement simple d’y remédier serait de rendre compte séparément du bilan environnemental de l'agriculture et des impacts de l'ensemble des étapes non agricoles. Une communication des résultats "à deux versants" peut être mise en place dans ce sens. L'unité de surface utilisée pour exprimer les critères environnementaux de l'agriculture permettrait de sortir le versant agricole de l'approche "produit", tandis que les impacts du deuxième versant (les activités de logistiques, de transformation, de commercialisation, etc.) pourraient continuer à être exprimés par unité de produit. Ce passage à un niveau de détail supplémentaire de l'information serait plus instructif que les indications qui regroupent et confondent toutes les activités, et serait bien accueilli par la profession agricole (possibilité de rappeler le "sens" des activités agricoles et d'intégrer les différentes démarches environnementales adoptés par les agriculteurs, comme la certification environnementale).



Conclusion


L'application de l'ACV au secteur agricole a été initiée dans une logique "produit", et l'interprétation actuelle des résultats fournis par les ACV réalisées dans les filières agro-alimentaires ne prend pas en compte certaines spécificités de l'activité agricole. Par conséquent, l'évaluation du bilan environnemental d'un produit agricole demande aujourd'hui une forme d'innovation méthodologique qui permettrait de lier l'outil ACV et la prise en compte de l'ensemble des services et produits fournis par l'agriculture.

Une approche pluridisciplinaire est nécessaire pour proposer une nouvelle interprétation de la signature environnementale d'un produit quand celle-ci doit éclairer les décisions des acteurs de la filière ou le choix des consommateurs. Si notre façon de mesurer influence nos actions en changeant d'indicateurs, les opérateurs privés et institutionnels seront vraisemblablement amenés à réviser leurs stratégies, ainsi que l'ordre des priorités pour atteindre de façon plus certaine les objectifs fixés aux niveaux national et international.



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"Comprendre le bilan environnemental

des filières laitières" :

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