Plan de l'article

3. Discussion


Les expériences d’ACV montrent que le fait d’accéder à la connaissance des flux de matière et d'énergie d'un système productif ramifié reste un projet complexe. Dans le cas des filières laitières, cela se vérifie si l’on doit tenir compte de l'ensemble des activités qui gravitent autour de la production laitière. Ce n'est pas une filière qui doit être analysée mais un entrelacs de filières, avec de multiples consommations et productions intermédiaires, et des co-produits à l'arrivée. L'identification des impacts environnementaux d'un produit laitier doit par conséquent passer par l'analyse d'un système compartimenté plus ou moins vaste.

Dans la plupart des cas des voies de simplification sont  employées, avec des conséquences diverses sur les résultats obtenus.

Par exemple, le fait de considérer qu'un fromage est le produit final d'une filière linéaire amont-aval avec des fournisseurs, un transformateur, un distributeur et des maillons logistiques entre eux est une forme de simplification. Ce présupposé risque d'écarter du champ de l'analyse les acteurs copartageants du système productif et qui ne sont pas à proximité immédiate des grands axes de la filière, parce qu'ils sont fournisseurs d'infrastructures, de services, d'ingrédients, ou bien sont prestataires des fournisseurs ou des maillons logistiques... La simplification ne devrait pas se faire au détriment de l'observation des périmètres éloignés de l'atelier de transformation où le lait devient fromage. Les premières publications disponibles au sujet de l'évaluation environnementale du lait et des produits laitiers décrivent des systèmes simples, reposant sur le fonctionnement de quelques grands compartiments situés entre l'exploitation agricole et le consommateur, ou de quelques entreprises autour de l'activité d'une usine (Berlin, 2002).

A la diversité des situations rencontrées sur le terrain (entre "circuits courts" et filières longues par exemple) s'ajoute donc la diversité des pratiques d'inventaire des flux (ADEME, 2008). Et les efforts déployés afin de fixer des normes pour encadrer la réalisation des évaluations environnementales et la mise au point d'une méthodologie uniformisée pourraient ne pas couvrir ce volet. La comparaison de résultats de deux ACV d’un même produit ne sera possible qu’après un examen approfondi des systèmes étudiés et des choix faits lors de la mise en œuvre de la méthode.
Nous l’avons vu, à partir des des premières évaluations environnementales des produits laitiers s'appuyant sur une approche "cycle de vie", il n'y a pas de distinction à faire entre l'étape agricole et les étapes industrielles de l'aval des filières.

Les mêmes outils d'analyse et les mêmes indicateurs d'impacts environnementaux sont mis en œuvre sur les exploitations agricoles et les ateliers de transformation par exemple. Le but recherché étant de caractériser le produit final, on procède en deux temps :

- en ce qui concerne l'activité agricole une partie des impacts environnementaux de l'atelier laitier est attribuée au lait vendu, et des indicateurs sont calculés par litre de lait (kg d'éq. CO2 par litre par exemple),
- pour l'activité de transformation, si le principal produit commercialisé est un fromage, une partie des impacts environnementaux de l'activité de l'usine est attribuée aux quantités produites et des indicateurs sont calculés par kilogramme de fromage (kg d'éq. CO2 par kg), en fonction de la quantité de lait utilisé par fromage, les impacts par litre de lait viennent s'ajouter aux impacts par kg de fromage pour commencer à caractériser le cycle de vie de ce dernier, avec un indicateur final par kg de fromage.
Ce raisonnement et ce mode de calcul sont possibles à condition :
- de considérer les mêmes catégories d'impact sur les exploitations agricoles et au niveau des usines de transformation (émissions de GES, eutrophisation, etc.),
- d'admettre que les impacts de l'activité agricole peuvent être répartis intégralement sur les produits vendus, en définissant un mode de répartition de ces impacts entre les différents produits de l'exploitation (entre les productions végétales, le lait et la viande...),
- d'appliquer des grilles d'inventaire identiques ou au moins comparables pour comptabiliser les différents flux (impacts liés aux infrastructures, aux processus, aux intrants, etc.) sur les exploitations agricoles et dans les usines de transformation.


Notons que les deux premières conditions sous-entendent que l'activité agricole constitue une étape industrielle comme les autres aux yeux de l’ACV. Or, le lien au vivant qui fonde l'originalité de la nature et du moteur de l'activité agricole impose certainement d'utiliser des méthodes d'évaluation environnementale qui sachent s'articuler autour d’indicateurs spécifiques. Il s'agit en premier lieu d'intégrer le fait que l'agriculture utilise de l'espace, qu'elle est très dépendante des caractéristiques de cet espace, et que lui-même est plus ou moins sensible aux activités agricoles.

Pour cette raison au moins, l'analyse de l'étape agricole et de ses impacts sur l'environnement ne peut pas se cantonner à des critères de performance inféodés aux processus industriels. Il est nécessaire d'élargir le spectre de l'évaluation en s'appuyant sur des indicateurs quantitatifs et qualitatifs du lien qui existe entre l'agriculture et les écosystèmes sur lesquels elle se développe et dont elle oriente la productivité. Une certaine prise en compte de la multifonctionnalité de l'agriculture et des services non marchands qu'elle apporte nous semble à ce titre être une piste à approfondir. Elle permettrait sans doute de déjouer l'interprétation restrictive actuelle qui attribue aux seules productions vendues l'ensemble des impacts environnementaux de l'activité agricole.

A ce stade, nous préconisons par conséquent une reconnaissance d’une discontinuité entre l'activité agricole et les autres étapes de la chaîne des produits agro-alimentaires, au travers de la mise en œuvre d'indicateurs adaptés et d'une nouvelle approche de l'affectation des impacts aux produits.

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